La communication, comme le travail manuel est le propre de l’homme.. Il communique volontairement par son corps et tout ce que la nature lui a donné de plus par rapport aux autres créatures vivantes : la parole (atout suprême) l’apparence physique, la gestuelle, la musique et le rythme, le chant, toutes sortes de créations artistiques, ainsi que par son comportement et sa relation au monde qui l’entoure et la société dans laquelle il évolue. Le tatouage, propre de l’homme est en fait d’abord un mode de communication avant d’être une forme esthétique destinée à rehausser la beauté de celle ou celui qui le porte.
Le tatouage en tant que système visuel très particulier correspond à un code traditionnel de communication. A l’origine, le tatouage est un motif idéopictographique c’est-à-dire correspondant à une forme d’écriture, destiné à transmettre des « messages » en permanence.
De fait, les signes que représentent les tatouages sur les corps humains des femmes et des hommes (les femmes surtout) sont à l’origine pratiquement les mêmes que ceux que l’on voit sur les poteries traditionnelles, les foulards, les tapis, les vêtements….
Ce qui est étonnant, c’est cette fascination des populations maghrébines et africaines à la vibration géométrique de ses signes jusqu’à les porter sur leurs corps avec des matériaux qui les rendent indélébiles. Les correspondances entre ces systèmes pictographiques qui varient selon les régions et les ethnies sont loin d’être clarifiées, mais la correspondance entre le tatouage et la pictographie sur des murs, des ustensiles ou de la toile semble être maintenant explicitée en moins en partie.
Il y a bien un rapport entre le tatouage et les signes d’écriture. Il n’est pas même certain que ce soit une écriture au vrai sens du mot, c’est-à-dire un moyen de noter intégralement la parole. C’est plutôt une collection de symboles, d’idéogrammes, dont chacun a en même temps une valeur magique. Ils finissent souvent tatoués sur le corps. L’origine de leur signification a pu être établie dans de nombreux cas: si le sens échappe souvent au non-initié, il est fort clair pour celui à qui on a expliqué la représentation plus ou moins schématisée. C’est ainsi que le signe désignant l’argent correspond à des barres de cuivre ployées ; que l’opposition de témoignages contradictoires se rend par deux lignes, l’une droite, l’autre sinueuse, enchevêtrées l’une dans l’autre; que l’idée de commerce est symbolisée par un homme (un marchand) à une bifurcation de la route. Petites énigmes amusantes, plus que système cohérent d’écriture. L’intérêt en réside surtout, dans le rapport établi entre le signe graphique transposé en tatouage et la signification qu’en donne le porteur ou le message qu’il veut transmettre à ceux qui le voient ou le fréquente.

Le tatouage : codes, langages et techniques

En Arabe littéral : washm, (pl wishâm). En arabe dialectal: wshâm et wshâma ou bien wshîma pour désigner un signe tatoué.
La wshâma désigne notamment le tatouage qu’imprime la femme sur ses bras (lequel est appelé « lignes de gazelle ») avec une aiguille enduite de suie de graisse. Cela peut être également un décor au henné (tatouage provisoire) . Ce verbe est à rapprocher de washaha qui veut dire « décorer quelqu’un », et par conséquent le différencier en lui octroyant un nouveau statut social, en l’affectant d’un signe.
Nous rencontrons un autre verbe employé en dialecte maghrébin : rsam, qui signifie « dessiner », « marquer ». On l’emploie entre autre pour parler d’une fille dont les seins bourgeonnent et de la terre lorsqu’elle laisse pousser un peu d’herbe.
Les tatouages, qui rappellent par leurs formes les motifs des tapis maghrébins, intriguent aussi bien les étrangers que les jeunes Maghrébins
Le corps musulman tatoué obéit à des règles particulières de déploiement et d’espacement. Les Maghrébins se tatouent sur les mains, les avant-bras et les bras. Ils font aussi des tatouages sur la partie postéro-externe de la jambe. Les femmes portent en outre des tatouages à la face, au front, au nez, à la joue et au menton. En plus, presque toutes les bédouines ont un tatouage entre les seins. Les tatouages varient selon les diverses régions du Maghreb, tout en conservant un air de famille, un style commun. Ces variations correspondent à des variations parallèles d’ornementation de la poterie locale.
II existe plusieurs techniques. Nous ne décrivons ici que les plus répandues. Au Maghreb, ce sont les vieilles femmes qui tatouent.
La tatoueuse trace le motif sur la peau à l’aide de bleu de blanchisseuse réduit probablement en poudre fine ; elle y applique du bleu ergoté puis, à l’aide d’une aiguille, elle pique légèrement la peau en suivant les lignes déjà dessinées par la poudre, à laquelle elle a ajouté des feuilles de volubilis sèches et pulvérisées. L’exécution des tatouages fait partie des pratiques de l’initiation qui marquent l’entrée dans la vie adulte.
C’est dans la période péripubertaire, entre dix et seize ans, que la plupart des filles sont tatouées. Par cet acte, la famille informe la communauté que la fillette sera bientôt disponible pour le mariage. La Maghrébine se fait tatouer vers la fin de la première enfance, à la puberté et après le mariage.

 Le Harqûs, tatouage provisoire

Harqus, tatouage maghrébin éphémèreLe harqûs (tatouage provisoire en couleurs) se joue sur une gamme plus vaste. Il se fabrique par prélèvement à partir d’un certain nombre d’ingrédients :
encre de Chine, galle pilée, suie, laurier-rose carbonisé, cendre de bois, épices, goudron, sève de ceps de vigne flambés, feuilles de noyer, noir de fumée, huile, alun, souak, khul, jâwi (encens).
Comme le tatouage, le harqûs est une combustion, un noir de fumée. La différence fondamentale est que l’un est tracé sur le corps avec une aiguille et l’autre dessiné sur l’épiderme avec un calame ou un bout de bois fin.
Ce tatouage éphémère dure un ou deux jours : le temps d’une fête, d’un rite, d’un rut.
Aucune correspondance représentative entre le dessin tatoué et sa désignation. Le nom peut être une simple tautologie, le dessin porte dans ce cas le même nom que le point du corps auquel il est attribué; par exemple, sdar (poitrine), uchâm al-lahya (barbe).
Proche du procédé tautologique, le nom du dessin désigne la signature : taba (décor intersourcilier : poinçon, sceau), tasmîda Lala Fatima Zahra (décor sur le menton : consécration à Lalla Fatima Zahra, fille du prophète). De même Khâtam slimaniya (sceau de Salomon) dessiné sur le poignet ou la main. Décor talisman, le tatouage ici protège, dit-on, contre le mauvais œil.
Un troisième procédé est l’image gestuelle : tallâla (celle qui regarde), intersourcilier.
Un autre procédé se contente d’indiquer soit la couleur, comme Iakhal (« le noir ») sur la joue, (substitut du grain de beauté) , soit des dessins géométriques tels que bu’arrûj ( le tortueux ) , la ligne brisée, sur le menton. Aucun rapport donc entre le nom et le décor ; cela est valable pour les dessins géométriques, qui sont désignés parfois par une onomastique végétale.

Le tatouage, langage codé.

La première fonction du tatouage se situe au niveau de la communication à dessein ; c’est la fonction magique et protectrice. La deuxième fonction sera au niveau de la signification : c’est la fonction esthétique destinée évidemment à la recherche de la beauté et au-delà à provoquer la séduction, le désir et si possible l’amour…
Comme le Hirz ( verset de coran ou formule magique en forme de talisman) que les guérisseurs de souk écrivent sur des bouts de papier, le tatouage peut être considéré comme une amulette permanente qui protège contre les forces occultes. C’est une sorte de vaccination magique. Le tatouage se fait pendant la période dite de stérilité, ce jour où les femmes ne peuvent ni concevoir ni enfanter. C’est bien le jour des rites prophylactiques où le tatouage devient efficace.
Il existe différents tatouages qui jouent la fonction magique et prophylactique.

Tatouages et langage du corps dans le Maghreb

a) La Khamsa :

«C’est un signe migrateur qui supporte de nombreux décors géométriques (appelés vulgairement/impérialement : main de Fatma) , le plus répandu et le plus connu.

b) Le troisième œil

appelé Le Toc, ce qui veut dire, « œil dans œil » ; là aussi, pour un signifié unique, nous avons des variantes de signifiants :
— des croix entrelacées sur le front ;
— un cercle surmonté de petites croix, ce tatouage circonscrivant aussi le mal et éloignant le mauvais œil. Le lieu n’est pas pertinent.

c) Wachma fûqu :

mot à mot «tatouage sus-pubien», signe contre le mauvais œil qui entraîne la répudiation. Il prend la forme d’une ou de plusieurs croix.

d) Siyâla :

tatouage sur le menton dessiné verticalement de la lèvre inférieure au rebord du menton . Ce dessin est continué ensuite sur le cou et la poitrine.

e) Khâtam slimaniya :

« sceau de Salomon ». Le lieu est soit le poignet, soit la main. Nous remarquerons que pour la main l’index n’est pas tatoué, car il est le doigt de la prière.

Le tatouage pour prévenir la mortalité infantile

a) ‘ayyâcha :

« celle qui donne/allonge la vie », sur le menton. On la fait aux familles particulièrement éprouvées par la mortalité infantile. C’est une sorte de prophylaxie médicale ; elle constitue une amulette permanente qui protège les enfants contre la mort. Elle peut se présenter sous la forme d’une boucle d’oreille sur une seule oreille, ce qui pour les garçons est souvent gênant, car leur camarades n’en comprennent pas toujours la signification et peuvent les considérer comme « efféminés ».

b) um éssibyân :

« celle qui fait du mal aux enfants ». L’important ici, c’est d’abord l’aiguille de la tatoueuse. Elle doit avoir servi à coudre un linceul. Ensuite, le lieu aussi est pertinent : le tatouage se fait au talon gauche de la mère. D’ailleurs, une femme qui ne porte pas de tatouage au talon gauche est une femme qui n’a pas d’enfant.

c) tâb’a :

« la poursuivante ». C’est une sorte d’Erinye qui poursuit la femme, la prive de ses enfants, la rend stérile et éloigne d’elle son mari. Le lieu privilégié est le dos .

Fonction esthétique : beauté, attirance et amours en perspective

Les faits qui composent cette partie sont des indices qui renseignent non par référence à un code précis utilisé consciemment par l’émetteur et le récepteur, mais par référence à un contexte social global. Ce genre de tatouage est exécuté après le mariage. D’ailleurs, c’est celui dont le caractère décoratif est le plus prononcé. Il est utilisé à l’époque où tous les artifices de la parade sexuelle entrent en jeu pour séduire le mari ou échapper à la répudiation. Le tatouage peut donc paraître comme un stimulant de la sensibilité masculine, au même titre que les différents types de maquillage utilisés par la femme moderne ; sur le front, le tatouage rapproche les sourcils, les allonge et donne au regard une intensité qui peut faire oublier les imperfections du visage. Gravé sur le menton, il l’affine. Dessiné sur la face, il joue le rôle de masque érotique. Quand il se prolonge du menton au cou, il dissimule un goitre ou les méfaits de l’âge. Sur le bras, les doigts et les poignets, il donne au geste une légèreté et une délicatesse émouvantes .
Nous trouvons aussi des tatouages périgénitaux existant surtout chez les prostituées.
Celles-ci portent des tatouages du milieu, imposés par leur situation sociale (« tatouage du milieu ») ou « de fantaisie », ces mêmes tatouages étant différents selon les milieux où la prostituée a vécu. Malgré les interdits religieux, la représentation de la figure humaine n’est pas exceptionnelle. La prostituée accepte volontiers le dessin d’un édifice religieux. Ces tatouages sont avant tout des dessins d’ornement. Les dessins y sont variés :
— soit une série de cercles en forme de douros *, qui remontent jusqu’au nombril et qui indiquent que la femme est un trésor ou qu’elle coûte cher ;
— soit un palmier planté dont les palmes s’étendent sur le ventre et qui est l’emblème de la fécondité ;
— soit un cheval, qui rappelle à l’homme d’être un cavalier accompli et triomphant.
Au Maghreb, !e tatouage, primitivement magique et protecteur, l’est resté dans bon nombre de ses manifestations ; il rassure encore l’âme tourmentée par les illusions nées de certaines croyances. Il est devenu de plus une parure, jouant ainsi un double rôle : d’une part, celui du grain de beauté qui fait ressortir la blancheur de la peau et, d’autre part, celui d’une manière d’être, d’une écriture, d’un ensemble de conventions qui véhiculent l’information au sein d’une même communauté pour permettre la communication. Le tatouage reste une manière de s’exprimer. C’est un regard jeté sur soi. Et un moyen de séduction permanent, contrairement aux parures vestimentaires ou au maquillage et réputé aussi efficace que la sorcellerie.
* Douros : anciennes pièces de monnaie espagnoles

Bibliographie :

J. Herber et du docteur Bertholon, je vais essayer d’esquisser une analyse sémiologique du tatouage maghrébin2.
A. Khatibi : la Blessure du nom propre (Paris, Denoël, 1974).
Magie et religion dans l’Afrique du Nord, Paris, J. Maisonneuve & P. Geuthner.
Evans-Pritchard, E. E.
1972 Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, Paris, Gallimard.
Fahd, T.
1987 [1966] La divination arabe. Études religieuses et folkloriques sur le milieu natif de l’Islam, Paris,
Sindbad.
2004 « Mandalas

Abdelhaï Sijel-massi, Les plantes médicinales du Maroc, Casablanca, Le Fennec, 2000.
Mohamed Mrabet, L’amour pour quelques cheveux, Paris, Didier Devillez, 1997 [première édition 1967]
Tahar Ben Jel-loul, Amours sorcières, Paris, Seuil, 2004.
http://www.slateafrique.com/343734/algerie-que-signifie-les-tatouages-traditionnels-que-portent-les-femmes-agees

Tatouage Berbère, tatouages et culture Berbère, Kabyle, Amazigh

Le tatouage berbère au-delà de l’aspect esthétique, Mémoire du corps


https://www.tattoome.com/blog/non-classe/tatouage-arabe-signification-profonde-tres-riche/