Amours et sorcellerie. Deux mots encore largement tabous. Surtout quand le premier est conjugué au pluriel ! Cela provoque immédiatement des réactions diverses, chez un même individu, femme ou homme. Sentiment d’aversion, de peur, d’attirance, de curiosité, de dégoût et de réprobation, d’indifférence (affichée) ; ou alors , le plus souvent des remarques de mépris (surtout pour le second terme), des plaisanteries de mauvais goût le plus souvent, des sourires ou des silences gênés…
Le fait est que les deux termes – pour des raisons diverses et différentes- ont un dénominateur commun : ils sont considérés comme harâm, illicites sur le plan religieux, bien que les opinions diffèrent souvent concernant la sorcellerie.
Pour l’amour au sens strict des relations sexuelles, il y a en effet un ijmâ’ (consensus) dans l’ensemble du monde arabo-musulman : pas de fornication en dehors du cadre légal du mariage ; toute relation sexuelle, en dehors du mariage, qu’elle soit consentie ou non et quel que soit l’âge des partenaires est considérée comme zinâ et donc condamnable par la chari’a selon les modes de son application et selon les pays et les législations locales (dont on sait qu’elles sont souvent un mélange de droit musulman et de droit moderne inspiré du code Napoléon).
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet et de voir comment « cohabitent » bon an mal an amours et sorcellerie dans la région qui nous intéresse , le Grand-Maghreb , de découvrir les pratiques concrètes propres à chaque pays, faisons un détour par l’histoire et interrogeons la religion musulmane, surtout en ce qui concerne la pratique de la sorcellerie en général et ce qu’en dit la jurisprudence musulmane.

Au commencement était la révélation

main de fatma et al ayn
Pour combattre le mauvais œil, un classique , la main de fatma

 

La sorcellerie dans la culture arabo-musulmane nous parvient de très loin : elle remonte de fait à l’aube même de l’islam. Il faut d’abord préciser que la culture arabo-musulmane distingue scrupuleusement deux pratiques : la sorcellerie proprement dite (appelée ruqya) et la magie qui porte le nom de sihr.
En effet, l’islam parti d’Arabie  incorpore, dès la révélation coranique, les faits, gestes et paroles du Prophète, mais aussi  l’incantation thérapeutique, l’imprécation (la’na , da’wat ash-sharr), le rite de propitiation (action, rituel visant à s’attirer le pardon ou la considération d’une divinité), de guérison ou d’ensorcellement (ruqya), les techniques de divination (‘ilm al-ghayb), la croyance en des esprits supérieurs efficaces (jinn), toutes pratiques et croyances qui avaient cours dans les sociétés de la péninsule arabique.
La plupart de ces pratiques  ont traversé le temps, suivant des modalités techniques et culturelles diverses. À ce fonds proprement arabe, labellisé islamique dès les premières générations, est venu s’ajouter un héritage autrement plus conséquent sur le plan des idées, à la suite de la révolution livresque et intellectuelle qui s’est propagée sous l’empire abbasside aux ixe, xe et xie siècles.
La notion de magie (sihr) apparaît donc dès les premières révélations à la Mecque. Il s’agit d’une racine arabe qui engendre le nom verbal sihr, désignant la notion en question, puis sâhir (magicien ou sorcier) et le participe passif mashûr (ensorcelé, envoûté). Le fait est que, le prophète Muhammad, délivrant verbalement ses premiers messages coraniques, est accusé de pratiquer le sihr, d’être un sâhir, donc un sorcier ou magicien. En utilisant l’accusation en sens inverse, les Mekkois diront aussi que Muhammad est mashûr, ensorcelé, et la tradition islamique en fournira des récits circonstanciés.

Un peu d’histoire

Deux phénomènes se sont conjugués pour aboutir à un bouleversement culturel sans précédent. À partir de la fin du VIII eme siècle, l’expansion du pouvoir politique musulman vers les terres byzantines et iraniennes puis indiennes, met les intellectuels de l’époque en contact avec les différentes branches de la pensée hellénistique, celle dite rationnellémee, mais aussi ésotériques, en particulier astrologiques, divinatoires et magiques. L’incorporation des deux domaines du savoir hellénistique dans la pensée musulmane en pleine construction s’est faite, on le sait, par un long travail de traduction vers l’arabe, effectué très souvent par des sujets chrétiens (nestoriens) polyglottes, possédant le grec mais aussi le syriaque.
Or – et c’est là le deuxième événement capital – l’entreprise de traduction et d’adaptation des textes grecs ou syriaques coïncide avec ce qui a été la chance de l’islam : les débuts de la fabrication du papier et donc des livres (codex) manuscrits. Technique née en Chine et récupérée par les musulmans en Asie centrale (sans doute aux alentours de Samarcande).

Du concret à l’abstrait à propos de la sorcellerie

Les anciens supports en pierre ou en métaux gravés, sans disparaître totalement, cèdent de plus en plus la place au papier et à l’écriture. À la suprématie du papier et de l’écriture s’associe celle de la langue arabe « claire » (Coran, sourate 26, verset 195, etc.) : les incantations ou talismans contenant des mots ou des formules en langue étrangère ou incompréhensibles, sont condamnés religieusement.
L’Afrique est particulièrement concernée par cet interdit.  Dans la pratique, cependant, il en va souvent autrement, comme en témoignent toujours des incantations magiques de prévention ou de guérison contre les morsures de serpent, où le lexique emprunt au berbère ancien ou aux langues négro-africaines voisines (wolof, bambara, peul). Ceci confirme une remarque précédente, à savoir que si les formules en langue étrangère sont bannies religieusement, leur efficacité n’est pas mise en doute, au contraire !
Les textes prennent donc le pas sur les images ou les objets , et leur contenu puise à la source du texte islamique par excellence, le Coran. Cependant seuls des extraits sélectifs du texte sacrés sont utilisés dans les cas de sorcellerie  ou de pseudo-soins magiques. C’est le cas des  99 noms attribués à Dieu  qui sont soumis, à travers l’écriture, à des manipulations graphiques et numériques diverses. Il en est de même pour le nom du Prophète, de ses quatre successeurs, des quatre anges prééminents, de tous les prophètes coraniques ainsi que pour les noms en nombre illimité des jinn ou d’entités spirituelles approchantes, les noms de personnages malfaisants, comme Nemrod, Pharaon, Iblîs ou Abû Lahab, l’oncle du Prophète ou encore les noms de l’enfer. La contrainte exercée sur et par les noms des puissances coraniques est d’un recours massif dans la talismanique écrite.

Magie, sorcellerie et jurisprudence musulmane

sorcellerie et islam

Le progrès le plus sensible dans l’analyse de la magie-sorcellerie en milieu musulman a été accompli, au xive siècle, par Ibn Khaldûn. Il cautionne la distinction nette entre sihr ou sorcellerie proprement dite et la mise en œuvre de tilasmât ou talismans. De la première il dira qu’il s’agit d’une « union d’un esprit avec un esprit » (« ittihâd rûh bi-rûh »), que « le sorcier n’a besoin de personne » pour agir, qu’il « exerce une influence purement spirituelle (psychique), sans aucun instrument de médiation ou recours extérieur » et que son activité relève d’une « disposition naturelle innée » (« jibilla »). Le prescripteur de talismans, en revanche, n’agit qu’en recourant à des intermédiaires spirituels (astres, nombres, lettres) et son action consiste dans « la réunion d’un esprit à un corps » (« ittihâd rûh bi-jism ») et s’il faut un don pour y parvenir, le travail et l’exercice s’avèrent indispensables.
Au-delà de ces définitions, Ibn Khaldûn s’attache à comparer les statuts du sorcier et du faiseur de talismans avec ceux des prophètes et des saints qui eux aussi sont dotés du pouvoir de « changer le cours des choses ». Dans ce cadre, il différencie, de façon similaire, les pouvoirs miraculeux (mu’jizât) des prophètes, des prouesses (karamât) des saints. En guise de synthèse, on pourrait lui faire dire que le prophète est au sorcier ce que le saint est au faiseur de talismans, étant entendu que, religieusement et socialement, le Bien (al-khayr) est attaché aux prophètes et aux saints, et le Mal (ash-sharr) aux sorciers et aux faiseurs de talismans.

Magie, sorcellerie, charlatanerie… un véritable business !

Les différents « spécialistes » :
Le déclin de la civilisation arabo-musulmane dès le 14ème siècle a été suivi d’une longue période de domination ottomane sur la majeur partie de ce qui représente aujourd’hui le monde dit »arabe ». Période de régression dans tous les domaines de la science,(notamment la médecine), mais aussi de la théologie (fiqh), de la littérature et de toutes les formes du savoir et des arts…
A la faveur de ce vide culturel, et la nature ayant horreur du vide, la magie, la sorcellerie, les superstitions et la charlatanerie dans tous les domaines allaient connaître un développement sans précédent. Cela a commencé au moins sous la domination ottomane et cela s’est poursuivi de plus belle sous la colonisation française, malgré les efforts du mouvement des Oulémas (théologiens réformistes) pour tenter d’endiguer la déferlante obscurantiste faite de superstitions, de pratiques pseudo-médicales, de sha’wadha (charlatanerie) et de pratiques occultes en tous genre, le plus souvent sous couvert d’islam (récitations erronées de sourates, talismans avec des semblants de versets coraniques illisibles, gribouillés par des mains d’analphabètes, parfois écrits carrément à l’envers pour leur donner plus de puissance !).
Ce business florissant est alors partagé entre plusieurs « spécialistes » :

Le tâleb

(pl. tolba). Ce terme désignait -et désigne encore- des hommes de religion réputés pour leur (relative) connaissance du Coran et surtout leur piété et leur probité. Ils sont sollicités pour valider les mariages religieux, effectuer la prière des morts, conduire des séances de dou’â (prières collectives spéciales pour obtenir la clémence divine en cas de catastrophes comme les sécheresses, fréquentes, par exemple). Mais ils sont aussi sollicités pour les « pouvoirs » surnaturels qu’ils sont censés détenir de par leur dévotion, leur connaissance du Coran et de la loi islamique. Sollicités pour des problèmes de santé, de voisinage, pour s’assurer de la légalité de tel ou tel projet par rapport à la chari’a , mais aussi -plus discrètement – et « officieusement » concernant des problèmes de famille et donc des questions ayant forcément un lien avec la vie amoureuse. Ils ne sont sensés pratiquer ni le sihr, ni la ruqya qu’ils condamnent en public et font même un travail pour dissuader les gens de s’adonner à de telles pratiques. Leurs remèdes ? Récitation à voix basse de sourates avec un contact physique (la main sur la tête ou le front du patient ou de la patiente), « préscription » de talismans avec des versets coraniques dont on peut supposer qu’ils sont correctement recopiés, prières (non coraniques) spécialement conçues pour le « client ». Conseils divers en principes inspirés par le Coran, les hadith (s) ou des récits et des traditions anciennes. Jusque là, rien de répréhensible et on est en droit de douter de l’efficacité des remèdes… Là où il y a un hic, c’est que ces prestations sont tarifées et représentent souvent une bonne part des revenus du taleb. Précisons enfin que ce statut est exclusivement attribué aux hommes.

La chouwâfa ou guezzâna.

Figures de sorcellerie maghrébine

La chouwafa ou guezzâna (pluriel : chouwâfat/guezzânât) sont des voyantes comme il en existe en Europe et un peu partout dans le monde. Elles auraient surtout le don de prévoir l’avenir individuellement pour les personnes qui les consultent. Un statut un peu spécial, puisqu’elle ne peuvent se prévaloir de compétences religieuses comme les taleb(s), ni de posséder des pouvoirs surnatuels comme les sahharât (sorcières) déclarées et plus ou moins reconnues comme telles. Leurs dons de vision et de décryptage de l’avenir, s’apparent à une forme de sorcellerie « bénigne » en recourant à des éléments matériels pas forcément spectaculaires, tels que :

– le plomb fondu qui finit par donner à chaque fois des formes différentes que la voyante interprète à haute voix et force démonstrations, à chaque métamorphose.
Les œufs , ayant souvent dépassé leur date de péremption et pourris parce que ayant séjourné plusieurs jours sous le coussin de la patiente à la demande de la voyante et qui, cassés dans une gas’a (plat en terre cuite spécialement conçu pour l’opération) finissent par donner une sorte d’omelette peu ragoutante et malodorante, dont la voyante prétend décrypter le spectre des couleurs et les reliefs à peine visibles…

Les voyantes sont généralement tolérées et même vues avec une certaine bienveillance.
Souvent invitées à domicile avec l’accord du mari, elles sont même sollicitées par les hommes, moyennant bien sûr la plus grande discrétion et même le silence absolu. Avec une seule condition : que le diagnostique soit délivré en privé et le plus souvent loin des oreilles de l’épouse, de la mère ou celles des sœurs.
Précisons enfin que les chouwafât dans les pays du Maghreb sont le plus souvent des descendantes d’immigrés andalous avec des ascendants remontant à la lointaine Andalousie musulmane, d’origine gitane et d’ailleurs souvent appelées « Djitano ».

La sorcière (as-sahhâra)

Cette « profession » est très majoritairement féminine. Il existe peu de sorciers hommes, ouvertement déclarés.
La sorcellerie est qualifiée de « pratique de femmes ». En dehors de quelques sorciers professionnels et de tolbas tentés par l’argent et donc la charlatanerie, on ne peut pas trouver un homme qui confectionnerait ses propres recettes magiques afin de résoudre un problème quelconque. Les hommes comme les femmes considèrent qu’un homme qui ferait de la sorcellerie dans un but privé porterait gravement atteinte à sa virilité ; mais les hommes y croient, la pratiquent en secret et n’hésitent pas à consulter des sorcières reconnues, souvent grâce à des recommandations. Ils ont recours à la sorcellerie car ils y croient et la craignent en sachant qu’ils en sont souvent les principales cibles. Cela suggère que la sorcellerie fonctionne sur la base d’une division sexuelle du travail magique, que les hommes et les femmes se partagent le « travail » et qu’elle n’est pas seulement une affaire de femme. La sorcellerie, en effet, ne circonscrit pas un univers spécifiquement féminin puisque les hommes croient en être victimes et peuvent recourir, en connaissance de cause, à des remèdes magiques.
D’autre part, le fait que la femme ait recours à la sorcellerie ne s’explique pas par une situation de domination de la femme par l’homme. Les femmes considèrent majoritairement que la pratique de la sorcellerie est le seul moyen pour se protéger de la répudiation, pour contrôler le processus des échanges matrimoniaux et pour renverser à leur profit les rapports de domination. Ces analyses me paraissent réductionnistes, parce qu’elles limitent la pratique de la sorcellerie aux relations entre hommes et femmes.
Il y a donc les femmes dont c’est la vocation, considérant qu’elles possèdent un don souvent hérité de la mère d’ailleurs, qui elle-même serait la descendante de toute une lignée de sorcières, le fruit d’une sorte de fatalité ou plutôt d’un pacte avec le shaytân (satan). Ce sont des professionnelles qui s’assument, malgré l’interdit religieux, l’opprobre et souvent les anathèmes et condamnations, voire menaces venant surtout des milieux fondamentalistes qui les considèrent comme des mushrikât (associationnistes) puisqu’elles considèrent qu’il y a d’autres puissances occultes que Dieu, dont évidemment l’infréquentable Satan et ses complices, les Djinns ! Pourtant, la pratique perdure et semble même s’étendre jusqu’aux couches de populations les plus jeunes. Parce que nombre de gens y croient et que de fait, elle est tolérée et recherchée, même quand elle est coûteuse en termes d’argent et de risques question notoriété. En réalité, au Maghreb, comme dans l’ensemble du monde arabo-musulman mais aussi en Occident, même les classes aisées et certains milieux intellectuels y ont recours, par croyance sincère ou parfois par snobisme !
Mais la sorcellerie est aussi une sorte de « science occulte » qui peut être transmise par un système de formation à toute femme qui le désire, ne serait-ce que pour des actions ponctuelles et ciblées.
une femme peut faire de la sorcellerie pour garder son mari, comme elle peut en faire pour ruiner un commerce ou pour que les enfants de sa voisine ne réussissent pas leur scolarité. En général, on use de la sorcellerie quand il y a conflit, vengeance ou envie. Ceci suggère que la sorcellerie n’est pas particulièrement liée à la régulation des relations de domination entre les sexes.
Il est vrai que les femmes ont davantage recours à la sorcellerie professionnelle que les hommes et ont simultanément le monopole de la sorcellerie privée. Cette situation s’explique par le fait que la société leur offre cette ressource comme quelque chose de légitime et de crédible pour des femmes (ce qui ne veut pas dire que la sorcellerie soit bien vue, mais une femme ne déroge pas à son statut en la pratiquant à titre privé, comme ce serait le cas pour un homme). Elle fait partie de la panoplie culturellement admise de la féminité, à l’instar du travail ménager ou des soins de beauté.

La magie et la sorcellerie appliquées à l’amour :

Nous avons évoqué la condamnation unanime de toute relation avant le mariage (même les « fiançailles », pratique empruntée à l’occident et donc relativement récente sont strictement réglementées de manière officieuse par la communauté concernée). Mais le mariage, même voulu par les principaux concernés, accepté par les familles des deux parties, réglé dans les moindres détails non seulement concernant la cérémonie d’union proprement dite, mais même nombre de considérations concernant la vie future du couple et leurs relations avec leurs famille, s’avère ne pas être forcément la panacée pour une vie amoureuse heureuse, épanouie…
En effet, nombre de problèmes, souvent insolubles se posent avant, pendant et même après la vie maritale en cas de divorce et/ou de répudiation.
A ces problèmes, la loi, religieuse ou « civile » ne peut répondre qu’en partie, surtout concernant des questions concrètes (héritage, garde des enfants, propriété sur la demeure, etc…). L’aide psychologique aux couples en difficultés dans sa forme institutionnelle comme cela existe en Occident, est pratiquement inconnue.
Reste alors le recours aux conseils des membres de la famille, des amis… ou en désespoir de cause, l’appel à des « spécialistes » de la magie ou des sorciers (généralement des sorcières) censés posséder des recettes et des remèdes rapides et efficaces au « mal d’amour ».
Avant de voir, pays par pays les pratiques en cours, essayons de faire l’inventaires des problèmes les plus récurrents et communs aux candidats à l’aventure amoureuse, même en acceptant le cadre du mariage.
Comment attirer/séduire l’être aimé quand les procédures légales et conventionnelles (faire part de son désir au milieu familial, aux relations « sûres », faire la démarche de demande en mariage en pure forme, etc…) ont toutes échoué?
Comment, une fois « l’affaire conclue » et le couple installé se prémunir contre le mauvais œil et les jaloux ?
Comment garder l’être aimé et l’empêcher d’être attiré par quelqu’un d’autre ?
Pour les mères des époux : comment faire pour empêcher que l’époux ou l’épouse de leur progéniture ne s’accapare totalement l’amour qu’il ou elle leur doit en principe de façon inconditionnelle et à vie ?
Pour les épouses : comment diminuer l’influence de la belle-mère, voire la neutraliser d’une façon ou d’une autre et si possible la séparer de son fils, voire l’éloigner définitivement ?
Comment faire pour éradiquer une mauvaise habitude constatée chez le mari après-coup, gênante pour le couple et probablement néfaste pour les enfants ? (Addictions de toutes sortes)
Comment empêcher un divorce quand toutes les solutions et les médiations ont échoué ?
Comment se défendre et éventuellement éliminer les rivales en cas de polygamie ?
Comment amener le mari à privilégier ses enfants par rapport à ceux des autres, toujours en cas de polygamie ?
Comment, après échec (divorce irrémédiable) se venger – à distance- de l’ex- mari et de tous les acteurs qui auraient contribué directement ou non à la séparation ?
Comment espérer retrouver un mari perdu pour cause de divorce et reprendre sa place en tant qu’épouse et mère « réhabilitée » ?
Comment avoir un ou des enfants quand Dieu ou Dame Nature en ont décidé autrement et que l’on sait que la longévité d’un mariage, voire la « survie » d’une épouse dépend essentiellement de sa capacité d’engendrer et même de sa fécondité, généreuse ou dans le genre chiche et espacé !

Remèdes et techniques

La sorcellerie implique soit des rites oraux, soit des rites manuels, soit les deux à la fois. Elle a souvent recours aussi à des éléments matériels, organiques ou minéraux, le plus souvent rarissimes et inattendus ou pas connus.
Les rites oraux consistent dans la récitation de formules magiques pour obtenir ce que l’on désire. Ces formules sont très répandues ; elles s’utilisent en général à la hâte, à l’occasion d’événements imprévus. Quand une jeune fille qui souhaite le mariage se retrouve avec des hommes, elle récite des formules d’une manière très discrète afin de leur paraître belle et d’être désirée. Quand on se trouve dans des situations incertaines ou dangereuses, on les utilise pour se protéger ou se défendre. Ces formules ne sont pas perçues comme malfaisantes, bien qu’elle ne comportent pas l’invocation de Dieu, contrairement au du‘ā’ qui peut aussi se dire dans de semblables circonstances.
Les rites manuels sont des préparations obtenues en mélangeant des éléments minéraux, végétaux, animaux ou d’origine humaine : la tortue, le caméléon, la peau du lézard, l’œil de la huppe, la cervelle de la hyène, l’œil de l’hirondelle, les cornes de la chèvre ou du bouc, la coloquinte, l’armoise, l’astragale ainsi que plusieurs variétés d’herbe et même des fruits comme la pomme, l’orange et le citron, le mercure, le fer, le sel, l’alun et le sang d’une personne morte dans un accident. Les ongles, les cheveux, les peaux mortes et l’urine même de la personne que l’on veut ensorceler sont, tour à tour, utilisés. Mais aussi la cantharide, les œufs de caméléon, staphysaire, belladone, mandragore, datura stamonium, mercure, etc.
Pour qu’une femme soit aimée par son mari ou par l’homme avec lequel elle désire se marier, il faut :
« Prendre ses propres ongles, les mélanger avec les ongles d’une huppe, puis brûler l’ensemble et le faire manger à l’homme désigné. »
« Prendre la tête d’un corbeau, lui enlever la cervelle et mettre à la place un peu de terre sur laquelle l’homme désigné a marché, plus le fumier d’un âne, plus sept graines d’orge ; puis enterrer l’ensemble dans un endroit où personne ne risque de passer. Quand l’herbe pousse de quatre doigts, il faut l’arracher, l’écraser entre les mains, s’essuyer tout le corps avec et le lui faire manger. »
« Prendre un citron, mettre dedans un morceau de torchon qui a servi à essuyer le sperme, l’arroser avec de la soude caustique puis enferrer l’ensemble dans un carrefour. »
« Prendre le mouchoir avec lequel l’homme s’est essuyé après un rapport sexuel, le couper en sept morceaux qu’il faut faire bouillir toute une nuit. »
Pour que la femme ait le pouvoir sur son mari, on doit :
« Prendre la langue d’un chien ou de préférence d’un âne et la faire sécher puis la faire manger au mari pendant sept jours. »
Afin qu’un homme cesse d’être amoureux d’une femme, il est nécessaire de :
« Prendre les cheveux, les ongles et les peaux mortes de la femme, les mélanger avec sept plantes, les brûler dans un verre neuf qui n’a jamais servi et les faire manger à l’homme. »
Dans la catégorie des rites manuels entrent aussi les hrūz, gris-gris qu’on doit porter sur soi, ou brûler ou diluer dans de l’eau pure ou dans de l’eau mélangée à de la fleur d’oranger et qu’il faut boire ou faire boire.
. Les rites manuels accompagnés d’incantations orales sont les plus répandus. On récite des incantations en faisant le mélange des produits, avec la main gauche la plupart du temps. Une femme abandonnée par son mari et qui veut le faire revenir prendra, par exemple, de sa main gauche un mélange qui contient sept éléments (d’origines végétale et animale), les mettra dans un récipient d’argile contenant des braises de charbon de bois et se promènera ensuite dans toute la maison avec ce récipient dans lequel brûle le mélange.
Si une femme pense qu’elle ne peut pas avoir d’enfants, elle doit prendre une livre de plomb et le faire fondre le dimanche pendant la prière du matin, le mettre sous son lit et l’éteindre avec de l’eau propre puis faire brûler la graisse d’un bouc pour le parfumer avec. Le deuxième jour, au lever du soleil, au milieu de la chambre à coucher, refaire la même opération avec le plomb mais l’arroser avec de l’eau de mer puis le parfumer avec le peganum qu’on fait brûler. Le troisième jour, on refait la même opération avec le plomb puis on l’éteint avec de l’eau d’un fossé et on le parfume avec du lentisque brûlé. Le quatrième jour, on fait fondre le plomb au milieu de la maison et on l’éteint avec l’eau de la rivière, puis on le parfume avec le corail brûlé. Le cinquième jour, on le fait fondre à côté du plafond et on l’éteint avec de l’eau de trois puits et on le parfume avec l’encens du Soudan. Le sixième jour, on l’éteint avec de l’eau de pluie à l’entrée de la maison et on le parfume avec du bois d’aloès. Le septième jour, on l’éteint sur le seuil de la maison avec de l’eau de source et on le parfume avec de l’ambre gris brûlé. Il faut éteindre le plomb, le premier jour sept fois, le deuxième jour six fois et ainsi de suite et jeter chaque jour l’eau utilisée dans un carrefour
La manière de se procurer des objets appartenant à une personne avec laquelle on n’a pas de contacts directs ainsi que la façon que l’on a de faire ingérer de la sorcellerie à quelqu’un donnent lieu à un véritable enchevêtrement de ruses qui sont le quotidien de la magie :par exemple, aller au hammam fréquenté par la maîtresse du mari pour obtenir les peaux mortes et les cheveux. Ou boucher les toilettes afin d’obliger le mari à uriner dans un récipient et den récupérer ensuite le contenu.
A ceci s’ajoutent, en général, des contraintes formelles, car la sorcellerie n’est efficace que si l’on respecte un ordre spatial, temporel et astrologique précis. Elle est inefficace si on la prépare le vendredi, qui est le jour sacré des musulmans, ou pendant les fêtes religieuses ou durant le mois de Ramadan. Les sorciers et les voyantes ne travaillent donc pas pendant ces périodes. Les nuits de pleine lune passent, en revanche, pour rendre la composition magique plus puissante. Les étoiles ont aussi une influence bénéfique sur l’effet de la substance magique. Il y a aussi des lieux dans lesquels on ne peut pénétrer avec de la sorcellerie et où, bien sûr, on ne peut en faire. Il s’agit des mosquées et des sanctuaires dont on croit qu’ils « refroidissent » l’effet du sihr; il existe, au contraire, des lieux spécifiques où on l’enterre à moins qu’on ne l’y disperse : les croisements de routes, les cimetières et, surtout, les tombeaux oubliés (ceux dont personne ne sait qui y repose et à qui personne ne rend visite).

Bibliographie indicative :

https://books.openedition.org/cjb/483?lang=fr#tocfrom1n1
Les Mots, la Mort, les Sorts
https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_15_1_1196

Grunebaum (dir.), Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’islam, Paris, Maisonneuve et Larose.
Brenner, L.
1985 « Three Fulbe Scholars in Borno », The Maghreb Review, X (4-5) : 107-113.
.Doutté, E.
1984 Magie et religion dans l’Afrique du Nord, Paris, J. Maisonneuve & P. Geuthner.
Evans-Pritchard, E. E.
1972 Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, Paris, Gallimard.
Fahd, T.
1987 [1966] La divination arabe. Études religieuses et folkloriques sur le milieu natif de l’Islam, Paris, Sindbad.
2004 « Mandalas et sceaux talismaniques musulmans », in V. Bouillier & C. Servan-Schreiber (dir.), De l’Arabie à l’Himalaya. Chemins croisés en hommage à Marc Gaborieau, Paris, Maisonneuve et Larose : 145-159.

2007 « La notion de magie dans le Coran », in C. Hamès (dir.), Coran et talismans. Textes et pratiques magiques en milieu musulman, Paris, Karthala : 17-47.
Ibn Khaldûn, A.
s.d. Kitâb al-’ibar, vol. 1, muqaddima, Beyrût, al-A’lamî, 7 vol.
1967-1968 Discours sur l’Histoire universelle. Al-Muqaddima, 3 vol., Paris, Sindbad.
Zappa, F.
2007 « La magie vue par un exégète du Coran », in C. Hamès (dir.), op. cit. : 49-74.